#L4 | Outils et refuges

De Kaplan : Les Outils. Ces chapitres courts, à chaque fois une clé de douze. Ses outils Kafka, la psychanalyse, l’usine… Les outils qu’elle utilise et les outils qu’elle donne avec ses modes d’emploi, toujours visionnaire. Tout ça mélangé pour moi avec Matthias et la Révolution, lecture simultanée, prémonitoire de nuits vivantes et debout !

De Jaccottet : Paysages avec Figures absentes. Il te dit si précisément l’œuvre de la Beauté, que même une méfiante dans mon genre s’y plonge jusqu’aux cheveux. Pas seulement les poèmes, mais leur genèse, et leurs ramifications.

De Lessing : Le Carnet d’or. C’est en Afrique et à Londres et dans l’intimité et la politique à l’adolescence, à l’âge adulte, plus tard, avant. Un jeu de carnets, autant de codicilles, d’échos, un seul est d’or, mais comme les coffrets de Portia tous servent. Aucun livre aussi long ne m’avait raptée ainsi dans sa langue (ses langues) caméléonne(s).

De Pavic : Le Dictionnaire khazar. Voilà quelque chose que tu ne pourras pas adapter a dit l’ami serbe. Quelque chose à quoi j’adapte mon existence tout entière. Un livre, trois religions, deux sexes, mille grilles de lecture, mille chemins.

De Vieux-Chauvet : Amour, Colère et Folie. En arrivant à Colère, tu comprends qu’Amour était le titre du brûlot que tu viens de finir et tu avances vers Folie avec la peur (encore en deçà de ce qu’il faudrait) au ventre. Un livre qui passe inaperçu.Un livre qui condamne son autrice et sa famille à l’exil quand le dictateur le lit. Un livre caché sous toutes les piles de linges d’Haïti. Post-exotisme avant la lettre.

De Bouvier : L’Usage du Monde. Je mens, ce sont les petits Bouvier que je relis encore et encore. Le Poisson Scorpion. Il faudra repartir. La grande claque douce de l’Usage du Monde, (débrouille dans les Balkans, dysenterie en Iran, rendez-vous au tas de sable du Levant), je peux seulement lui tourner autour. En écouter les musiques, en mesurer les conséquences sur Bouvier même.

De Garat : Une Faim de Loup, c’est un essai, un poème, un conte, de quoi faire et cuire des galettes. Ça dit la lignée des femmes, l’hystérie des grand-mères, la sextoysation des enfants et de l’enfance même, ça raconte encore et autrement l’histoire que tu as crue patate crue. C’est un livre.

De Ibsen : Les Prétendants à la Couronne. C’est un jeu. Comme un échiquier 3D. Le jeu puissant des puissants. L’autre face de Peer Gynt. Sinon c’est la saga de l’unification de la Norvège et Game of Thrones est un petit joueur.

De Pinkola-Estes : Les Femmes qui courent avec les Loups. C’est tous les contes par le prisme du mythe de la femme sauvage. Ça te réveille une morte en lui plongeant les racines dans la terre du topos. Ça identifie et ça relocalise. Ça rend ancienne et vive et présente. Et toi comment tu la racontes après ?

De Hobb : L’assassin royal. C’est de l’héroïque fantaisie qui se fout de la classification de genres. Ça te dit les êtres humains sur le bout des doigts et les animaux et la nature et comment tout ça se ficèle ensemble. Et comme on se fait balader ! La même histoire racontée par le même personnage à des âges différents, avec des arborescences d’histoires d’ailleurs, qu’on peut ne pas lire d’ailleurs. Ça court sur des tomes et des tomes, on peut se cacher longtemps à l’intérieur tandis que gèle la Saône. Et puis, oui, passe un dragon. Mais en figure libre.
(Dans un recueil de nouvelles, l’autrice offre en cadeau des codicilles, tout simples, tout francs.)

De Dumas père : Le Comte de Monte Cristo. C’est le feuilleton où chaque jour en prend pour son grade. Short and sweet and terrible. Tu apprends le suspens, le rebondissement, la deuxième chance et la vie-mort-vie dans le tout les jours des cent jours. Et puis la figure exsangue du Comte des derniers chapitres, livre de chair à la prison, livre de chair à sa vengeance, livre de chair à l’amour perdu sans retour. Je l’aimais d’amour à quinze ans, et toujours.

De Hamad : Le Conteur. C’est la rencontre inattendue d’une conteuse qui défie et amende un conteur qui apprend et augmente d’autant ce qu’iels ont créé. Ça dit l’amour de dire, cette broderie du sens, la réalité à structure de fiction. 

De Robinson : Fabrication de la Guerre civile. C’est incroyablement choral et rythmé : toute la Cité des Pigeonniers dans ses moindres voix pour un chant du cygne avant destruction programmée. C’est remarquablement renseigné aussi. Plus vrai que béton. Maîtrise époustouflante d’un projet dont l’audace me laisse, hélas, encore sans voix.

De Morrison : Solomon’s song. Tu vois Chagall ? Tu vois Chagall. Voilà ce qu’elle fait, à chaque page : elle fait voir Chagall et pourtant ça n’a rien à voir. Mais la poésie coule à flots et emporte tout sur son passage chez la grande dame noire de la parole. Beloved, oui, son écriture et son regard, dès celui-là.

A propos de Emmanuelle Cordoliani

Joue, écrit, enseigne, met en scène et raconte des histoires. Elle a été décorée par Beaumarchais ( c'est un raccourci mais pas une usurpation ) et elle travaille avec la même équipe artistique depuis des lustres ( le Café Europa ) ce qui fait sa fierté et sa joie. Voir et explorer son site emmanuellecordoliani.com

12 commentaires à propos de “#L4 | Outils et refuges”

  1. « Quelque chose à quoi j’adapte mon existence tout entière. » Très fort et beau de parler ainsi d’un livre, me donne grande envie d’aller voir du côté de ce Dictionnaire khazar. .

  2. Les Femmes qui courent avec les Loups ! Souvenir émerveillé d’une veillée de contes.
    Je vais aller découvrir Hobbs. Merci pour le partage !

    Games of Thrones, c’est un petit joueur !! Le présent suffoque.

  3. Anne- Marie Garat, comment j’ai pu l’oublier! Merci pour votre liste, envie de découvrir plusieurs titres inconnus.

  4. Alors alors…de toute votre liste, je n’ai lu (moi, lecteur compulsif, boulimique) que Jaccottet, Dumas (amour pour le même Monte-Cristo, à 15 ans aussi ; j’aime beaucoup votre commentaire) et Bouvier ! Ce qui importe : l’envie de lire ces auteurs inconnus. J’ai envie de vous tutoyer !