#P6 | Plus personne

On m’a offert il y a deux ans un carnet. Un journal. Pour « faire de sa vie un roman. » « Parce que tu aimes écrire! » Est-ce qu’on offre des peintures à lettres aux gens qui aiment peindre ? Et des boîtes de capotes à ceux qui aiment baiser ? J’ai dit merci, je crois.

Tous les jours une question était posée. Sur cinq ans. Je l’ai jeté la deuxième année. A la question « qui est la dernière personne que vous ayez embrassé ? » en date du 6 avril, je m’en souviens très bien. L’année précédente j’avais mis un prénom. Je crois que j’avais commencé à me prendre au jeu de ce carnet, l’idée de me voir évoluer encore me faisait sourire. Et puis cette deuxième année, j’ai écris le même prénom. Sauf que ça faisait bien depuis le 6 avril de l’année précédente qu’on ne s’était pas embrassé. Ni lui. Ni personne d’autre. J’ai paniqué soudainement. Qu’il n’y ai plus personne. Sur les prochaines années. Jusqu’à ma mort. Qui m’attend sur le banc d’en face, au square, en tricotant une petite laine. La mort est patiente. Moi non. J’ai pris le carnet par sa couverture comme si il était maudit, je l’ai mis dans un sac et je l’ai enfoncé dans la vieille poubelle marron de la cuisine.

Quand je suis seule, je regarde mon visage dans le miroir. J’ai une nouvelle ride au front. Je m’amuse parfois à sortir tous mes rouges à lèvres et j’en mets une couche délicate, qui me rend jolie, pour personne, puis une autre par dessus, qui dépasse, jusqu’à ce que ce soit vulgaire et après je m’en tartine le visage jusqu’à ressembler à un sioux et j’ouvre une bouteille de vin et je danse dans l’appartement. On m’a offert un tarot récemment. Les cartes sont posés sur le bureau. Elles attendent. Et moi j’attends. Est-ce que quelque chose m’attend encore ? Et si je la retourne et que la carte est vide ? Qu’elle est blanche ? Que c’est un trou béant ?

Et si elle ne se retourne pas ?

J’ai renversé du vin sur la table pour coller les cartes.

A propos de Lyd

Slavophile, psychologue, journaliste. Métisse. Des cafés de toutes les manières. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. La poésie la nuit, la littérature au café, les nouvelles dans le train.

2 commentaires à propos de “#P6 | Plus personne”

  1. J adore ce premier paragraphe qu on pourrait continuer à l infini avec tout le tranchant de vrai qu il sous tend…et la suite qui en découle