#L7/ Dans cette ville

Au commencement de cette histoire il y a l’eau. L’eau c’est le commencement de tout. Une ville c’est d’abord de l’eau. Alors dans cette histoire il y a de l’eau. Celle d’en bas et celle d’en haut. Celle du bas de la ville (puisque l’eau coule toujours vers le bas). Et celle d’en haut. Des grandes nappes aquifères, des sommets. Pas des montagnes, pas des lacs, non. Mais des vastes plateaux spongieux. Ceux qui (comme de grosses éponges) retiennent l’eau. Puis la laissent ruisseler doucement. En sources et rivières. Et dans cette histoire, tous et toutes tendent l’oreille. Ecoutent le chant. Le chant de l’eau. Car c’est l’eau qui apprend aux animaux et aux humains à parler, à dire. Qui leur apprend tout. Car l’eau est mémoire. Elle contient toutes les histoires. C’est de l’eau que naissent toutes les histoires. Celle-ci comprise.

Cette histoire-ci c’est celle d’un retour. Le retour d’une femme venue d’une île lointaine. Arrivée le matin même en avion, train, bus.  Arrivée dans un paysage plié, plein de tunnels et d’églises. Et cette femme, débarquée d’une île pleine de soleil, d’une île au soleil harassant qui brûle les pupilles, une île aux piscines aux fonds si bleus qu’on ne sait plus très bien où est le ciel, cette femme va gravir une rue. Passer un pont et gravir une rue.

Dans cette histoire il y a un mari. Qu’on quitte. Un électricien de mari qui n’a pas su saisir la gravité, la densité d’une question que l’on doit pourtant poser. Il y a une mère, la mère aux 11A+. Une mère arrêtée pour l’éternité dans un été baignant dans un jus de planchers crasseux. Et une grand-mère, qui elle s’enorgueillit d’avoir coiffé la Reine. Il y a aussi une sœur prisonnière d’un nappage de carot cake. Un chauffeur de bus qui s’abîme dans le souvenir d’un sourire. Et il y a un enfant. Dessinant des poèmes sous la pluie.

Et bien sûr dans cette histoire il y des pierres. Des pierres vieilles, si vieilles. Enchâssées dans des façades silencieuses. Encastrées dans des berges tristes. Cimentées à des ponts rouillés. Ou incrustées dans la structure d’anciens entrepôts et filatures occupés lentement à s’effondrer.

Au coeur cette histoire, une ville. Dans cette ville, un noyau de terroristes islamistes préparant un attentat qu’on démantellera in extremis. Dans cette ville, un avocat soupçonné d’avoir aidé à l’évasion de militants d’extrême gauche se retrouvant incarcéré dans la prison dont son propre père était le concierge. Dans cette ville, l’organisation d’un grand congrès anarchiste européen capotant lamentablement, les internationalistes bakouniniens n’arrivant pas à s’accorder avec les anti-autoritaires de la Fédération jurassienne. Dans cette ville, mais ça bien plus tard, alors que de terribles changements climatiques seront en route, des inondations d’une ampleur jamais vue apparavant. Des maisons, rues, voitures englouties. Et des morts. Par dizaines. Dans cette ville, mais là plus tard encore, alors que le capitalisme se sera effondré, que ni trains ni voitures ne circuleront plus depuis longtemps, que même l’autoroute aura été démontée, dans les entrepots de l’ancienne gare de marchandises de la ville, celle-là même qui a réceptionné par centaines, deux siècles plus tôt, les ballots de laine qui ont été à l’origine de la fortune extravagante de certains bourgeois aujourd’hui décédés, un bataillon de bioterroristes et bioradicalistes hyperconnectés installera son QG.

A propos de Sybille Cornet

Je n’ai pas de page Facebook ni perso ni privée. Ni d’instagram. Et pas de site non plus autour de mon travail. Je sais que question communication c’est pas top. Je vis mieux dans l’ombre. Mais je travaille à tenter d’en sortir. Je suis autrice et metteuse en scène. Principalement de théâtre jeune public. Le théâtre jeune public est un milieu qui vit un peu en autarcie. On se connait tous et toutes. Et donc la nécessité n’est pas forcément là pour me pousser dans le dos. J’ai une pièce de théâtre publiée Le genévrier chez Lansman. J’ai un texte publié dont je suis contente, une ode aux pieds nus (La matière du monde) édité chez Post industrial animism. J’ai publié des textes poétiques dans un magazine que j’adore et qui s’appelle Soldes almanach, magazine assez branque sur les nouvelles utopies. Il y a une adaptation sonore d'un spectacle performance sur le Syndrôme de Stendhal que j'ai écrit et performé ici : https://www.dicenaire.com/radioautresauborddumonde . Pour le reste, j’ai écrit et mis en scène une bonne dizaine de spectacles, adultes et enfants. Ma compagnie s’appelle Welcome to Earth. J’ai aussi fait un peu de poésie sonore. Pour l’instant je monte un spectacle pour tous petits qui raconte une amitié entre deux arbres, un petit pin nain et un bouleau. Ça s’appellera sans doute Inséparables. J’accompagne une actrice slameuse qui monte un seule en scène autour de sa grand-mère et de l’avortement. Le titre : Bête d’orage. Je fais partie d’une commission qui octroie des aides à la création aux créateurices jeune public et je lis beaucoup de dossiers d’artistes. Aussi étonnant que ça puisse paraître, ça me passionne complètement. Lire des dossiers d’intention de spectacles m’intéresse parfois plus que de voir le spectacle lui-même. J’étudie aussi la dramaturgie (mais ne me demandez par contre pas ce que c’est ok ?). Ah oui, je suis belge et je vis à Bruxelles, ville que j’aime entre toutes.