#P6 | Livre des jours.

Aujourd’hui. Deux ouvriers sont assis sur une montagne de gravats. Il y en a un qui fume une cigarette. L’autre regarde les gens – les femmes, peut-être. Avant, c’était un bâtiment. Maintenant, c’est de la poussière. Demain ce sera peut-être de nouveau un bâtiment, avec des enfants qui crient et des vieux qui s’ennuient. Tout ça grâce à leurs mains. La rue est pleine de poussière. Leur face sont pleines de poussières. Ils n’ont pas l’air de vouloir rentrer chez eux. Je m’assied sur le banc en face. Je n’ai pas envie de rentrer non plus. On se regarde. Je n’arrive plus à savoir si je trouve les gens beaux. Un goéland éventre un sac poubelle, pas loin de nous.

Hier. « Je connais les arabes. Et les maliens. Et les camerounais. Et les ivoiriens. » Il est grand, très grand. Et maigre. Quatre membres qui dépassent sur ce petit fauteuil en toile jaune. Et ébène. Il n’est pas noir. Il est ébène. Il regarde l’horloge. Il ne partira pas avant la fin du rendez-vous. Même si il a tout dit, dans la rue il n’y a aucun fauteuil qui l’attend. « Et les français ? ». Il cligne des yeux. « Pardon? » « Les français ? Vous connaissez les français ? » Il s’enfonce dans le fauteuil. « Les français, c’est différent. Ils ont leurs papiers, eux. »

Dimanche. Deux types marchent vite. Ils transportent une télévision. Elle a une antenne. Je n’ai pas vu une télévision avec une antenne depuis des siècles. Depuis l’époque même où ça n’existait pas encore. Ils s’arrêtent devant le parc. Il y en a un qui a des gants. L’autre qui tire les manches de son pull sur ses paumes. Ils échangent leur place. Ils décident de traverser le parc. Les parcs sont toujours ouverts la nuit, ici. Il n’y a rien à craindre dans cette ville, à part les fantômes de la seconde guerre mondiale.

Samedi. Sur la braderie du port, le vent souffle fort. Un vieux monsieur court après des pin’s qui se sont tous envolés de leur boîte. Son chapeau s’envole aussi. De l’autre côté. « Le vent peut pas souffler des deux côtés! » il gueule. Un moineau s’installe dans la boîte de pin’s.

Vendredi. Ca sonne à la porte. Il est tard. Il fait déjà sombre. Elle a l’air un peu gêné, une bouteille à la main. Habillée comme la veille et l’avant veille et encore le jour d’avant. Elle me demande si je veux boire. Moi non. Je comprends que elle oui. Alors je dis moi oui. Les ruptures sentent toujours le tanin.

Jeudi. J’ai jeté tous les vêtements que je ne mets plus. Trois sacs. La ville sera bientôt habillée en moi. Avant je jetais des vêtements parce que je perdais du poids. Maintenant parce que j’en prends. Merde. Je ne l’avais pas vu venir, celle-là.

Mercredi. Il faut descendre les cartons de vaisselle. Et après il faudra les monter. Il y en a cinq. Ils sont trop lourds. Je n’ai pas besoin de toutes ces assiettes en porcelaine avec leurs bords dorés. Personne ne vient jamais me voir. Surtout pas pour manger dans des assiettes en porcelaine avec leurs bords dorés. Je vais les laisser dans la rue. Ah non, je ne peux pas. C’est un cadeau de mariage de ma grand-mère. Apparemment les cadeaux ça ne se donne pas. Même quand il n’y a plus de mariage.

A propos de Lyd

Slavophile, psychologue, journaliste. Métisse. Des cafés de toutes les manières. J'aime aussi lire dans des langues que je ne parle pas. La poésie la nuit, la littérature au café, les nouvelles dans le train.