- Les chansons qui vous trottent dans la tête au réveil. Depuis plusieurs jours, alors que je n’y pensais plus depuis des années, Casse-têtes, écrite par Gébé, chantée par Montand. Revient sans cesse, même dans la journée. Sans être invitée. Elle s’impose.
- Et aussi, de Fugain, «C’est un beau roman, c’est une belle histoire…». On n’aime pas forcément les chansons ou les rengaines qui reviennent et s’imposent. Mais le moyen de les chasser?
- Béa est un pseudonyme. J’ai connu une fille qui lui ressemblait. Mais je ne sais plus comment elle s’appelait (en vrai, ou IRL, comme on dit aujourd’hui.)
- Combien de temps avant que cette expression, IRL, disparaisse?
- Je me souviens par contre nettement du prénom et du nom (les vrais, pas le pseudo) de son mari.
- C’est normal: lui, je le voyais au travail, pas moyen de l’éviter. Elle, je ne l’ai croisée que quelques fois. Croisée, pas rencontrée. Vue à distance. À cette époque-là, elle ne m’intéressait pas.
- Lui non plus ne m’intéressait pas. Je le trouvais prétentieux et hâbleur. Le genre d’homme qui parle fort, s’étale et s’écoute parler. Nos rapports au travail se limitaient au bonjour-bonsoir de rigueur.
- J’ai pourtant le souvenir d’avoir dîné chez eux, un soir, avec d’autres invités.
- La règle tacite de ce bourg, de cette petite ville de province, était de rendre l’invitation à dîner. Je n’ai pas le souvenir de l’avoir fait. Mais j’ai peut-être tout simplement, vraiment, oublié un épisode qui était sans grand intérêt. Pour moi, à ce moment-là.
- Rien ne m’empêche de l’imaginer, et de l’écrire. Aujourd’hui.
- Finalement, je vais opter pour la liste à numérotation automatique, que je viens de rétablir. Merci, traitement de texte qui gère les automatismes. La question sera de savoir si ce sera transposable dans WordPress. On verra en « temps utile » (encore une expression bizarre, c’est quoi, du temps utile? je devrais dire, le moment venu.)
- Je ne sais pourquoi Béa s’est imposée à moi soudain, comme un fantôme qui prend corps et réclame à avoir son histoire, écrite.
- Béa, c’est-à-dire Béatrice. Je m’aperçois que je l’appelle déjà par son diminutif, son petit nom affectueux, un hypocoristique.
- Pourquoi, c’est-à-dire pourquoi maintenant. Je sais bien pourquoi elle s’est imposée. Mais pourquoi maintenant, alors que je l’avais totalement oubliée, effacée de ma mémoire?
- Son histoire, c’est une histoire vraiment pas gaie/pas vraiment gaie.
- Place de l’adjectif: antéposé ou postposé, et le sens n’est plus – tout à fait – le même. Mais les lecteurs feront-ils la différence? pour moi, il y en a une, alors je veille à écrire du mieux possible la nuance.
- Les histoires d’A finissent mal en général.
- En écrivant ces lignes, et chaque fois que j’écris un fragment de cette histoire, j’entends les Rita Mitsouko: Les histoires d’A, histoires d’amour…
- Je crois que l’histoire de Béa n’est pas seulement son histoire, mais aussi celle de ma mère.
- Et aussi l’histoire d’une copine de classe, disparue du lycée en mars ou en avril, et retrouvée en juillet dans les couloirs d’un autre lycée, où on passait les oraux du bac. L’examinateur l’avait invitée à entrer dans la salle et appelée «Mademoiselle C…, s’il vous plaît», le nez sur sa liste de noms de candidats et candidates à interroger. Et puis il l’avait vue et s’était repris: «Oh! pardon… Madame!» insistant sur le deuxième a de madame. Elle était, comme on disait dans la famille, « enceinte jusqu’aux yeux », presqu’à terme. Ce qui faisait, si elle était enceinte de neuf mois début juillet, disons qu’elle était enceinte depuis… allons, comptons sur nos doigts à rebours… quelque chose comme novembre. Elle était donc enceinte de cinq mois ou presque en mars, et nous n’avions rien vu, et elle n’avait rien dit. Il y avait peut-être eu des vacances avant. Alors, on l’aurait vue pour la dernière fois au lycée en février. À quatre mois, la grossesse n’est pas forcément visible, pas encore visible. Je connais une fille dont la grossesse n’a commencé à se voir qu’après le septième mois.
- L’histoire de Béa est celle de toutes ces filles, à peine plus que des fillettes, qui ont encore les joues rondes de l’enfance, des ados certes, mais pas vraiment des femmes. Mariées très jeunes, mères à dix-sept ans, elles se retrouvent à pousser une voiture d’enfant devant le collège où elles étaient encore élèves quelques mois auparavant. Elles ont presque toujours l’air triste et marchent courbées.
- Ce sont aussi des mal mariées, pour la plupart.
- Les garçons, des ados eux aussi, ne sont pas mieux lotis. Eux aussi sont contraints au mariage, sans l’avoir choisi.
- Le garçon n’avait pas forcément envie de se retrouver père et marié à dix-huit ans. Il y a probablement des exceptions, certainement même. Mais ils étaient et restent rares. On n’élève pas les garçons en leur apprenant qu’ils ne peuvent pas être les mieux servis et tout se permettre.
- Témoignage de la fille d’une de mes amies. Appelons-la Julie. Elle est au lycée, en première. Ça se passe près de la gare de R***. Elle a été hélée par une ancienne copine de classe du collège. Elles étaient ensemble en troisième. La copine est accompagnée par celui qui était la grande gueule du collège. Ils sont mariés et ont un enfant, celui qui est dans la poussette. Elle attend le second. C’est elle qui parle. Elle dit à Julie qu’elle a bien de la chance d’être au lycée et de passer son bac. Lui ne dit rien, il regarde obstinément ses chaussures. Ils doivent repartir, c’est l’heure du car, tu comprends… ils ne respirent vraiment pas la joie.
- Aujourd’hui, « on » (la société, les parents…) ne les pousserait peut-être plus à se marier avec la même insistance. En France et en Belgique, tout au moins.
- Je pense à ce film, Jeunes mères, sorti en salle cette année, qui montre des gamines confrontées à leur grossesse, à leur enfant, à la nécessité, l’obligation de devoir s’occuper d’un bébé alors qu’elles ont du mal à s’occuper d’elles-mêmes. Le film a été tourné en Belgique, dans une maison maternelle (il me semble que c’est le nom de cette maison, mais ce n’est pas certain, il faudra vérifier) un lieu magnifiquement géré par des femmes patientes et fermes, qui montrent à ces adolescentes comment s’occuper de l’enfant qui vient de leur tomber du ventre dans les bras, comment on lange le bébé, comment on prépare le biberon, comment on doit être responsable, ne pas le laisser seul sur la table à langer pour aller téléphoner, etc. On rencontre celles qui attendent la naissance, celles qui se demandent si elles vont laisser leur bébé en adoption, et si oui, est-ce que c’est bien? celles qui sont perdues, qui pleurent, qui craquent…
- Mais dans mes histoires, il n’y a pas de tels lieux. Pas encore. Elles vivent dans les années 70-80, dans un monde où une fille qui a « fauté » doit se marier.
- Le garçon, ou l’homme, lui, ne « faute » jamais. On ne dit jamais du garçon ou de l’homme qu’il a fauté. C’est comme s’il était dans son droit. Au mieux, il s’héroïse en « assumant ses responsabilités ». Ce qui ne l’empêche pas de se retrouver piégé et malheureux. Mais il peut fréquenter des lieux de solidarité masculine. L’usine, le bistrot, le foot… il n’est pas coincé ds la cuisine avec les marmots. Quand il rentre le soir, il a bonne conscience, il gagne sa vie, lui, il a un travail, lui, il ramène sa paie à la maison. (remarquez, pas toujours… certains en laissent une bonne part au bistrot.) Elle, elle ne travaille pas, c’est bien connu, elle se lève avant lui, se couche après lui, se relève la nuit pour le laisser dormir (c’est qu’il travaille, lui!), trime toute la journée pour «tenir son ménage», mais il faut croire que tout ce travail-là ne compte pas.
- À lui l’alcool. À elle les tranquillisants. Dans les années 70, le shit n’est pas encore arrivé massivement. Mais ça ne traînera pas.
- Ceci que j’écris, qui s’écrit, est-ce un journal? un journal d’écriture? une machine à se presser le citron? à peine un détour avant de reprendre l’histoire de Béatrice.
- Pourquoi Béatrice? comment choisit-on le prénom d’un personnage? Béatrice n’existe que sur le papier. Sur le papier, elle a eu d’autres prénoms, jusqu’à ce que celui-ci s’impose. À cause de ce (trop?) célèbre incipit, «La première fois qu’il vit Béatrice, non, Bérénice, il la trouva franchement laide.» et ça continue à peu près ainsi «Ou plutôt mal coiffée… les cheveux coupés a demande des soins… mal habillée… une étoffe qu’il n’aurait pas choisie…».
- Remarqué que François Bon prononce correctement, lui, le mot incipit. Il faudra que je l’en remercie, en commentaire. C’est-à-dire en écrivant un commentaire en dessous de son «post».
- Les béatrices n’ont pas la parole. On parle d’elles. On c’est, pour commencer, le GB qui écrit ces lignes.
- Remarque: GB n’écrit pas, ou n’écrit plus beaucoup, ou plutôt beaucoup moins; ça lui arrive encore, mais désormais, il tape sur un clavier d’ordinateur. GB a eu une machine à écrire, rouge, une Olivetti. Disparue depuis longtemps, partie à la casse probablement, jetée par?, au fait, qui a jeté cette jolie petite chose? Dommage, c’était un bel objet, même s’il n’avait plus d’usage, faute de ruban.
- Il y a d’autres on. On parle de Béatrice: ceux et celles qu’elle croise, qu’elle rencontre, qu’elle a rencontrés, ceux et celles qui parlent d’elle, la connaissent plus ou moins. Elle, elle ne parle pas. GB n’a pas prévu de lui donner la parole. Pour le moment.
- Écrire un portrait en creux, in absentia.
- Écouté – parce qu’elle me trotte dans la tête depuis des jours – la chanson écrite par Gébé, Casse-têtes. Remarqué que toutes les têtes cassées sont des victimes, mais seulement du genre masculin. Sauf peut-être le bébé phoque. Pourtant en Iran, c’est sur la tête de Jina Masa Amini, une femme, que les policiers ont tapé jusqu’à ce qu’elle en meure.
- Lu ce qu’écrit Olivia Rosenthal du chat de Schrödinger. Béatrice est – à ce moment de l’écriture, dans le projet de GB – un chat de Schrödinger. Dans un récit, elle repart au bout d’un an ou deux dans sa région natale. Dans un autre, elle meurt à la fin du récit. Dans le premier cas, «on» pourra se demander ce qu’elle devient. Une béatrice deviendra mère de famille, femme au foyer, victime pathétique? une autre béatrice compagne libérée d’un quadragénaire devenu libertin échangiste? une autre rejoindra les combats féministes, une autre se découvrira lesbienne… et toutes ses/ces histoires ont plus ou moins déjà été racontées, écrites, vécues.
- Aimé aussi ce qu’Olivia R. dit de l’ « arc narratif ». Image qui m’évoque aussi l’arc-en-ciel: « on » ne sait pas vraiment d’où il sort, ni où il aboutit. Mais à son pied, on trouvera un trésor. Alors, partons en quête.
- La chanson Casse-têtes, c’est peut-être une indication de ce qu’ « on » écrira en fin de compte.
Comptes: régler des comptes, régler ses comptes. Supprimé: trop facile. Remplissage.- La mère de George a été une béatrice. Une mal mariée parce que mariée trop jeune. Parce qu’elle avait fauté. Parce qu’elle était enceinte d’un jeune homme. Un homme qui n’était plus un adolescent. Un homme jeune, qui avait un travail, le droit de vote, une place dans le village, qui aurait dû être responsable. Elle avait dix-sept ans, il en avait vingt-trois. Il était plus âgé qu’elle de six ans, ça compte.
- Difficile à écrire, quand il s’agit de son père. Coupable de viol? il ne la connaissait que depuis quelques jours. Elle était venue de loin retrouver ses frères; elle devait coudre une belle robe pour Laure, sa jeune belle-sœur. Il devait y avoir une fête, d’où les robes. En ce temps-là, on cousait les robes, les boutiques de prêt-à-porter n’existaient pas encore. La mère de George était couturière, une petite couturière de seize ans.
- Peut-être était-elle ce qu’on appelait une fille facile. C’est ce que répétera sa belle-mère. Son fils chéri a été obligé d’épouser une marie-couche-toi là. Et allez savoir… si ça se trouve, l’enfant… on ne sait pas de qui il est… elle se sera jetée à sa tête…
- Les femmes ne sont pas tendres pour les femmes.
- Ou bien il l’a renversée sans égards pour ses protestations. On lui aura appris pendant son service militaire que les filles disent non alors qu’elles pensent oui.
- Ou bien ils sont tombés amoureux, le coup de foudre. Ils auront été heureux quelques mois, peut-être. Mais de cela, George doute fort… mais pourqui pas? En ce temps-là, bien avant sa naissance, ils étaient amoureux. Le temps a passé, l’amour s’est changé en rancœur.
- Béatrice, Béa si vous préférez, n’était pas enceinte quand elle a épousé Philippe. Il l’a épousée parce qu’il était fou amoureux. Il faut être un peu fou pour arrêter le car scolaire et en faire descendre une élève de seize ans. C’est ce qu’il a raconté à ses collègues masculins, je n’invente rien. Il se disait fou, il disait «j’étais fou». ou bien «j’étais comme fou»? Il parlait déjà au passé, il me semble. De sa folie, ou de son amour pour elle?
- Elle, elle était flattée. Était-elle amoureuse, vraiment amoureuse? Ou amoureuse de l’idée d’être l’objet d’amour d’un homme plus âgé, dans une position de supériorité et d’autorité. Beaucoup de filles sont amoureuses de leur prof…
- To be continued…
- Trouver un titre, quand il n’y a plus qu’à… et pourquoi pas «casse-tête»?
Archives des mots-clés : écriture
#Boost #04 | Tenir tête à l’oubli
Tenir tête à l’oubli — ne pas oublier Jane — toujours penser à elle — la tenir contre toi sans laisser un fantôme devenir le centre de tout — Ne pas tout mesurer à l’aune de ton gouffre — ne pas s’accrocher trop à ces vivants qui vivent juste parce qu’on sait qu’un jour ils ne seront plus vivants — Continuer la lecture #Boost #04 | Tenir tête à l’oubli
#LVME #13 | La concordance des temps
Elle serait elle-même dans son livre, elle qui n’avait jamais été, pas même sous la forme d’ombre, sur aucune de ses photos. Elle ne se verrait pas en personnage centrale, en celle qui dit je, elle y serait un peu comme le catalyseur des réactions chimiques ou bien comme le prétexte à raconter tout ça. Non, évidemment, c’est bien plus Continuer la lecture #LVME #13 | La concordance des temps
#Anthologie #39 l La fête du sacrifice
Je suis arrivée à Istanbul le 4 juin, pour ce qui devait être un séjour de dix jours. Un homme m’a volé mon portefeuille, mes papiers d’identité, mon argent et ma carte bleue dans le métro bondé d’Eminonu. Je n’avais pas l’intention de faire de cette banale histoire un récit encore moins un livre mais les mots sont venus et Continuer la lecture #Anthologie #39 l La fête du sacrifice
#anthologie #27 | Incipit
Une femme vit un voyage comme elle écrit ses livres à tâtons, sans expérience, sans aucune conscience de ce qu’elle fait, se laissant guider par on ne sait quelle voix qui lui dicte des mots qu’elle écrit obéissante comme elle ferait un pas puis un autre et encore un autre sur une route inconnue, attentive à poser sur la page Continuer la lecture #anthologie #27 | Incipit
#anthologie #10 | le cahier rose
Elle a 78 ans. Son mari vient de mourir. Le lendemain de l’enterrement, elle ouvre grand toutes les fenêtres et laisse respirer la maison aux quatre vents toute la journée. Le soir, elle sort sur le balcon, porte-fenêtre ouverte, s’assoit et allume une cigarette. Cela faisait vingt ans qu’elle n’avait pas fumé. L’église sonne 21 heures. L’été est doux. Au Continuer la lecture #anthologie #10 | le cahier rose
#anthologie #03 | le crayon papier
Le crayon papier ou crayon à papier ou crayon de papier comme s’il était fait de ce sur quoi il doit écrire, le crayon papier par définition est introuvable quand on en a besoin, on le cherche sur le bureau, sur le lutrin, parce que c’est sur les partitions souvent qu’on l’utilise, pour noter les dièses et les bémols oubliés, Continuer la lecture #anthologie #03 | le crayon papier
#anthologie #01 | Consulat
Monter l’escalier roulant du métro, station Haliç. Allonger le pas sur le pont aérien au-dessus d’une mer émeraude sous un ciel bleu sans nuages. Tenir fort la bride de mon sac. M’interdire de m’approcher comme je m’interdirai d’approcher du bord d’une falaise de peur que le vide me happe. Être partagée entre l’envie de m’approcher de la rambarde pour prendre Continuer la lecture #anthologie #01 | Consulat
boucle 2 #02 | WJ Cliffe, un jeune soldat anglais
Article William Joseph Cliffe est un soldat britannique mort au combat le 22 août 1944. Il est enterré sur le côté nord de la petite église de Vauville, en Normandie (Calvados, pays d’Auge). Il est connu grâce au témoignage de Charles Delamare. Biographie William Joseph Cliffe est né le 14 mars 1924 à Stoke-on-Trent dans le Staffordshire. Il est le Continuer la lecture boucle 2 #02 | WJ Cliffe, un jeune soldat anglais
En attendant Marcel | lire&dire – enfances – gestes&usages – nouvelles | 11&12/11
01042024 Un lundi de Pâques le jour du Poisson d’avril. Certains diront que les planètes se sont enfin alignées. — Les beaux-parents viennent manger à la maison. On n’aura rien à faire, m’a dit ME, ils apportent tout. — Il fait très beau ce matin, mais le ciel est particulièrement noir à l’ouest, et l’on entend tonner. — Le 1er Continuer la lecture En attendant Marcel | lire&dire – enfances – gestes&usages – nouvelles | 11&12/11