le XXe siècle est un grand livre

vraiment pas inutile, l’exercice de reprendre le XXe siècle en cent livres, exercice sur aire d’autoroute au crépuscule


note du 8 novembre 2011
Ce samedi 12 novembre, de 9h à 10h, je serai avec Frédéric Beigbeder en direct sur France-Culture dans l’émission Répliques.

On me retrouvera en vidéo avec le même, mardi 15, sur le site de l’Express (merci Laurent Martinet). Echange qui me laisse ce matin souvenir très dense, à la fois poli et bretteur.

Frédéric Beigbeder publie Premier bilan après l’apocalypse, liste commentée de 100 livres du XXe siècle, où on retrouvera Perec, Jauffret, Echenoz parmi quelques autres traces communes.

Ci-dessous, je me demande comment j’ai pu négliger Thomas Bernhard : comme si je le portais tellement dans le centre même de mes lectures, qu’il était sorti des livres...

note du 28 septembre 2011
Pour raison non publiable encore je dois me confronter à l’exercice suivant : si le vingtième siècle est un grand livre, comment le déplier en cent livres ?

Nombre donc arbitraire et première question pourrait aussi être : combien de livres compterait la liste, si nous la poussions au bout ?

Deuxième question serait : le vingtième siècle pourquoi ? Je suis né à sa moitié, j’ai suivi à mesure qu’elles naissaient certaines des oeuvres marquantes de son dernier quart. Mais l’expérience de la littérature ne connaît pas ces frontières si chères à l’université hexagonale et tous ses – istes. J’ai besoin de Rabelais autant que de Baudelaire, est Rimbaud est nettement plus moderne qu’une vaste marmitée de tout le siècle qui le suivit.

Ensuite, comment l’établir, la liste : à mesure qu’on se souvient des livres, donc vaguement par ordre d’importance ? Oui, a priori c’est le plus simple. En la classant selon la date de parution, ou selon l’année de notre propre lecture ? C’est moins simple. Mais plus facile à trier. Artaud en 1926, Julien Gracq en 1971.

Moduler aussi selon notre âge : Robbe-Grillet en 1970, quel déclencheur, pour ma dernière année de lycée. Et Adorno, Minima Moralia, découvert en 1980, quel déclencheur aussi – mais ils ne seraient pas intervertibles dans mes 2 phases de vie.

Et la garder liée à notre langue, en ignorant Carver et Faulkner ? Et avouer les manques indubitables (n’ai jamais pu entrer dans Nabokov ni Roth) ? Et répéter ce qui devrait être titre connu de tous, comme le Finnegans Wake ?

Enfin je tente, brut. Finalement, on n’a pas tant besoin d’un si grand étalement de marchandises.

 

 1, Marcel Proust, À la Recherche du temps perdu. Longtemps m’y suis trouvé bloqué, avais le premier tome Pléiade depuis 2 ans quand ça s’est décoincé, premier tour complet en 1980 à Bombay, probablement 5 lectures intégrales depuis lors.
 2, Antonin Artaud, donc. Tout, mais d’abord L’Ombilic des limbes.
 3, Faulkner. Tout, mais d’abord ça avait été Tandis que j’agonise.
 4, Malcolm Lowry, Under the volcano (je ne l’ai jamais lu en français). Sentiment obscur et irrationnel.
 5, Maurice Blanchot, tout, mais parce que c’est à lui que je dois d’avoir lu tôt Malcolm Lowry. L’espace littéraire comme porte d’entrée : ouvre sur la mort, toujours y revenir.
 6, Rainer Maria Rilke, Cahiers de Malte Laurids Brigge, pas sûr que ce soit un livre du XXe siècle ? Si, allez, quand même.
 7, Aragon, parce que je lui dois le nom de Rilke : donc Théâtre/Roman (c’est un roman), ou Le fou d’Elsa pour le vers.
 8, Jacques Roubaud, La vieillesse d’Alexandre, livre modeste, mais à cause de cette question de l’alexandrin : il m’avait suffit de lire ce livre et tout s’était mis en place.
 9, Walter Benjamin, Baudelaire, toujours par tuilage non prémédité de pensée, livres qui mettent en place le rapport à la littérature.
 10, Theodor W Adorno, Minima Moralia, j’en ai parlé.
 11, Apollinaire, Alcools, se souvenir que c’est le XXe siècle.
 12, Cendrars qui le précède et le poursuit, mais je partirais de la grande trilogie plus tardive, L’homme foudroyé notamment, même si le bonhomme souvent m’insupporte.
 13, Céline, Voyage au bout de la nuit par contraste, livre par quoi je suis passé brusquement à la prose, enfin. Et la trilogie de la fin, avec Nord.
 14, Kafka, ne sert à rien de le mettre dans une liste : chance biographique d’avoir lu le Château très tôt, beaucoup trop tôt.
 15, Breton, Éluard, Desnos, Char, et les mettre tous ensemble : même si Char domine à rebours, ce sont les Manifestes et le Nadja du patron.
 16, Michon Pierre, Vies minuscules, et peut-être lui-même pas encore remis de nous avoir pondu un classique en temps réel.
 17, Beckett Samuel, je dirais le Dépeupleur comme départ, et Têtes mortes comme point de toujours retour.
 18, Nathalie Sarraute, entrée tardive, compagnonnage de plus en plus sûr, je dis D’entre la vie et la mort pour inflexion de départ de la grande oeuvre commencée après ses soixante ans.
 19, Marguerite Duras, Écrire pour les garder tout de suite dans le minimum d’écart.
 20, Danielle Collobert : je ne sais pas pourquoi ça m’a rejoint si fort, dans cette époque où c’était si difficile de trouver Dire I/II et Il Donc, mais lecture reste sur table permanente.
 21, Et ainsi de Christophe Tarkos, Anachronisme.
 22, Et ainsi de Valère Novarina, Vous qui habitez le temps (même syndrome du classique qui vous échappe plus grand que vous).
 23, Bernard-Maris Koltès, obsession rétrospective de cette heure ensemble à parler Balzac. La nuit juste avant les forêts, et nous après.
 24, Georges Perec : j’aurais pu le connaître, ne savais pas qu’il fallait se hâter. Aujourd’hui, Espèces d’espaces comme atelier central.
 25, Simenon Georges est un auteur du XXe siècle évidemment, et qui a compté pour moi autant que Jules Verne, et je le pratique toujours : mais un titre ? Non, juste la musique.
 26, Julien Gracq, avec les Lettrines II et La Presqu’île si on ne le lisait pas in extenso dans les 2 Pléiade.
 27, Henri Michaux, là ce sont les 3 Pléiade. S’en vouloir d’avoir commencé tard, mais est-ce qu’il m’aurait été accessible plus tôt ? Montaigne non plus.
 28, Francis Ponge : Méthodes, comme loupe optique pour se rejoindre soi.
 29, Pierre Bergounioux : C’était nous (d’ailleurs je le pense).
 30, Paul Valet (George Schwarz dit) – simplement nécessaire.
 31, Mandelstam. (Point.)
 32, Daniil Harms, et même si auteur sans livre. Ronger avec les dents.
 33, Leonid Andreiev, juste pour dire que plein d’autres noms russes pourraient suivre.
 34, Antoine Emaz : question ouverte, le blanc.
 35, André du Bouchet : pour le blanc, précisément.
 36, Claude Simon, mais il aurait pu venir bien plus tôt – peut-être L’acacia comme point de départ, Le Jardin des Plantes comme aboutissement, mais j’ai tout traversé, évidemment oui.
 37, Jorge Luis Borges, peut venir dès le 1, revenir aux 100 – suis mal si je ne le relis pas fréquemment, aurais peur de diminuer mentalement par manquer une nuance.
 38, Julio Cortazar, l’homme qui grandissait tout le temps, grandit en moi aussi. Comme par ses Instructions, ou Axolotls.
 39, Joseph Conrad.
 40, Ernst Jünger – les journaux de l’occupation parisienne, le dedans de la guerre.
 41, Heiner Müller, juste pour la façon allemande qu’il avait de regarder, lui, Christa Wolf, d’autres, les Allemands.
 42, Bradimir Scepanovic, La mort de M. Golouja, il est devenu quoi ?
 43, Jean-Christophe Bailly, Dépaysement, ah non, c’est le siècle de maintenant.
 44, Lovecraft, tout, et la démarche même, et le petit livre de Houellebecq qui en est la meilleure introduction : mais pourquoi il m’a fallu Providence pour tout mettre en place ?
 45, Patrick Chamoiseau, Écrire en pays dominé, et le reste, et sa terrasse d’écriture.
 46, Saint-John Perse, ai trop pris l’habitude de cacher qu’il m’est compagnonnage permanent, l’amble, le rythme, la longueur de cadence.
 47, Gabrielle Roy, pur reste de sous-colonialisme sa mise à l’écart.
 48, Claude Ponti, passer de l’une à l’autre pour la largeur d’horizon ? Et ce sera le seul ici avec aussi ses images.
 49, David Rousset, Les jours de notre mort, relu.
 50, Heidegger, Cours de 1927, pour reposer encore la distension.
 51, Gilles Deleuze, Kafka, pour une littérature mineure pour faire exprès de dissocier un titre.
 52, Michel Foucault, Les mots et les choses, tant compté aussi, pourtant la fois qu’on s’est trouvé avec lui vraiment imbuvable.
 53, Ernst Bloch, Traces, ceux qui ont lu sauront pourquoi.
 54, Don Quichotte, Don Quichotte, ah bon c’est une erreur ?
 55, W.G. Sebald, Vertige, de la famille, dès que lu.
 56, Raymond Carver, qu’on le prenne par n’importe quel bout.
 57, Henri Maldiney, affaire secrète.
 58, Italo Calvino, affaire fraternelle.
 59, Jean Échenoz, Jacques Serena, compagnons de Minuit, rien à voir les deux, mais des fois dans la tête c’est le même livre.
 60, Jean Rolin, Zone et autres voyages, et sa silhouette en arpenteur.
 61, Michel Butor, Un rêve de Baudelaire (parce que vous ne le connaissez pas).
 62, Joseph Kessel, Les Cavaliers, et pour l’avoir rencontré.
 63, Serge Pey, il remet les pendules à l’heure.
 64, Jean-Paul Goux, Le triomphe du temps, Ténèbre, dans siècle qui ne savait plus honorer ce qu’on lui offrait.
 65, Mathieu Bénézet, Pantin, canal de l’Ourcq et Jean Ristat, Ode pour hâter la venue du printemps, ça a été le virage.
 66, Robert Walser, trop intemporel, avais oublié que c’était le XXe siècle aussi, les Petites proses.
 67, Virginia Woolf, ô monologues intérieurs, ô musiques du dedans.
 68, Gertrude Stein, le visage fermé de son visage de bronze sous Time Square, et que personne n’ait traduit How to write.
 69, Franketienne, ceux qui reprennent à bras-le-corps la folie surréaliste et recommencent.
 70, François Caradec, ses biographies de Lautréamont et Roussel.
 71, Leslie Kaplan, pour le livre fait sur même sujet au même moment.
 72, Osamu Dazaï, ses 101 vues du Mont Fuji, pour tous les autres noms japonais.
 73, Gaston Chaissac, ici parmi les écrivains, lui lettreur (avec Jean Dubuffet et aussi Hélion pour son journal).
 74, Agatha Christie, oh la fine.
 75, Bernard Noël, comme frère fidèle et sorte d’homme pierre, voir L’Espace du poème.
 76, Alain-Fournier, à jamais l’enchantement du Meaulnes.
 77, Thomas Mann, Doktor Faustus, pour qu’écrire sur la musique soit enfin possible.
 78, Pascal Quignard, Les petits Traités, me rehausse.
 79, Edmond Jabès, si discret qu’il restait au fond, avec ses Questions.
 80, Charles Juliet, pour Lambeaux et Rencontres avec Beckett.
 81, Roland Barthes, Mythologies ou Plaisir du texte, c’est peu comme un médicament, heureusement qu’on l’a pris et qu’on en reprend, Bourdieu aussi.
 82, Bachelard, Poétique de l’espace, et espace de l’essai ouvert pour tous les autres à suivre.
 83, Ionesco et Pirandello, pas relus souvent, mais ils ont ajouté une pièce à la maison.
 84, Claudel, ô sa phrase.
 85, Malraux, que les Antimémoires, mais pas le choix.
 86, à tous les inconnus, lus et oubliés, à tous les frères de publication, lus et éloignés.
 87, à ceux qui nous aidé à penser la matière et le temps, comme Mandelbrot, ou le chaos, ou le cerveau.
  88, André Markowicz, quand il parle-traduit assis sur sa chaise, sa voix dans toutes les langues.
  89, à d’autres morts, qu’on n’a pas subis tout près là comme Blanchot, Gracq ou Simon.
 90, à ceux qu’on a bien lus mais qu’on ne met pas dans la liste sans pourtant savoir trop pourquoi, comme Prévert, Valéry, et ceux qu’on a rangés dans le garage.
 91, Dylan Bob pour Visions of Johanna et la cohorte qui le pousse et emmène, dont Allen Ginsberg et Gregory Corso.
 92, pour l’éblouissement lisant Tristan Tzara et sa voix enregistrée toute moderne.
 93, pour ceux qui nous ont appris à dire-écrire la ville.
 94, pour ceux qui nous ont appris à dire-écrire le dedans fou.
 95, pour ceux qui nous appris à raisonner avec distance de ce qui va vite et brouille.
 96, à tous ceux qui n’ont publié qu’un livre et plus de nouvelles depuis lors.
 97, à ceux qui nous créaient du vertige mais pas leurs textes.
 98, à ceux qui décortiquaient le fond étrange de la conscience double.
 99, Carlos Castaneda, oeuvres complètes et grand système de fiction.
 100, au livreur qui m’a apporté, en septembre 1988, les 2 cartons de mon Atari 1040 commandé par correspondance.


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1ère mise en ligne 28 septembre 2011 et dernière modification le 8 novembre 2011
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